OU VONT NOS REVES ?

OU VONT NOS REVES ?

08-10-2022

J'ai beaucoup aimé ces nouvelles...

C'est sur le thème du rêve que le 27e Festival du livre de Mouans-Sartoux et Télérama ont lancé une invitation, ouverte à tous, sur tous les territoires francophones, à participer à un grand concours d'écriture. Deux impératifs : écrire en français un récit, un témoignage, un conte, un poème, un essai, même une planche de BD... et respecter la longueur précise imposée de 3000 signes (1). Au total, plus de 800 nouvelles nous sont parvenues. Une première sélection a été réalisée par le festival. Lequel les a lues et, au terme de ses délibérations, en a choisi 10. Ces 10 productions seront éditées sous forme d'un carnet, et seront lues lors des siestes littéraires du Festival du livre. Voici les textes des quatre premiers lauréats (hormis le premier, les textes sont publiés sans ordre particulier).

1er  lauréat : Samia Yusuf Omar, par Anne Klippstiehl

Moi Samia Yusuf Omar,
Le jour où je suis née,
En 1991 in Somalia,
J'entendais déjà la mer, dans ma mère.
En 2008, during Beijing games,
A eu lieu ma deuxième naissance.
La tête sous l'eau, dans la baignoire de l'hôtel, puis sur la piste.
I am a runner, I am a runner, I am a runner, respire, allez, accélère, plus vite ! Plus vite ! Ad aeternam, je refais la course.
« It's a desolation ! Samia Yusuf Omar finish at the last place with a time of 23 seconds ! »
Pourtant, un grondement sourd dans le nid d'oiseaux. C'est celui des spectateurs d'un pays sous régime dictatorial saluant cette héroïne qui a traversé les mers, affronté les intimidations des frères islamistes, porte-étendard somalien, qui doit se cacher pour s'entraîner. Ils la reconnaissent, frères de silence, une ola monte et descend, qu'elle n'entend pas, dans sa bulle.
Dans sa douleur de cette course.
Humiliée. Mal nourrie. Mal préparée.
La course, c'est comme une vague qui accélère, accélère, voudrait dépasser le flux des marées, de la lune, dépasser les possibilités de la Terre, de ma terre, la Somalie où je suis née, terre des pirates.
Sa vie aussi. Aînée de cinq frères et soeurs, son père assassiné en pleine rue devant elle, sa mère, sa course pour les nourrir, dans la violence, dans la guerre civile, dans l'islamisme ; mais tout ça, elle ne peut pas le dire.
Elle rêve.
Elle parle aux journalistes à Beijing, mon rêve oh ! Que j'arrive à me qualifier pour les prochains jeux olympiques de Londres, courir aux côtés de..., et de..., un rêve qui lui échappe, qui l'enferme. Elle se tait. Garder sa force. Juste pouvoir s'entraîner. Elle n'a pas le temps de parler. Elle rentre auprès des siens.
La mer somalienne est dangereuse, nous isole, nous laisse seuls. Je ne peux plus entendre ce va-et-vient qui rend tout immobile, impossible. J'ai tout essayé pour trouver un entraîneur, et le ministre des Sports a été assassiné.
Je dois partir.
Regardez mon corps !
Regardez mes jambes infinies !
Regardez mes mains !
Regardez les lignes des paumes de mes mains !
Je suis faite pour ça !
Mon destin, c'est courir.
Je suis noire, je suis somalienne, mais les paumes de mes mains sont blanches et leurs lignes incrustées me permettent de rêver, non, pas de rêver, si, de rêver. A Londres, London, Europa...
Le chemin est tracé sur mes mains. Le bonheur. Courir, juste courir, courir, respirer, courir, courir, respirer, penser à la houle de la mer, avancer, inlassablement, le ressac dans le travail, mais, avant de partir, protéger la famille, les éloigner.
Sur le bateau, le moteur tousse. S'arrête. Je tombe.
Nager je ne sais pas. Je m'endors. Je suis sous l'eau. Je vais bientôt arriver à London. Quand je me réveillerai, quelqu'un aura posé mon corps sur la rive, c'est le dieu de la mer que je ne connais pas qui m'a pris par la main. J'aurai 21 ans. Par sa chaleur je me laisserai portée, j'y serai bientôt, in London. Il me dépose au large de Lampedusa. Je ne respire plus. Mon rêve s'est envolé.